Les lettres d'Abe no Nakamaro étaient des lettres rédigées par ce dernier à son ami Li Bai.[1]
Lettres[]
À l'attention de maître Li Bai
Comment allez-vous depuis la dernière fois ?
Plusieurs mois se sont écoulés depuis le mois d'octobre dernier, lorsque nous nous sommes séparés à Chang'an.
Je me souviens de vos mots lors de mon départ : "cette fois, ce n'est pas un au revoir, c'est un adieu."
Je me souviens également de mon arrivée dans votre pays ; mais je n'étais qu'un jeune homme de 19 ans, séduit par les charmes du grand empire Tang. Mais maintenant que mon âge a dépassé le demi-siècle, j'ai vu les merveilles de Chang'an et y ai développé des relations amicales sincères, si bien que l'empire Tang fait à présent partie de moi.
Néanmoins, plus les années passent et plus les saveurs de ma terre natale me manquent.
Les trente années passées ici se sont déroulées comme un grand rêve.
Maintenant, je n'ai plus qu'un seul souhait, celui de sentir une dernière fois le parfum de ma mère.
Ainsi, si j'ai décidé d'embarquer avec l'expédition de l'ambassadeur Fujiwara en direction du Japon, c'est afin de réaliser ma dernière volonté.
Cela dit, j'avais également un objectif.
Comme vous le savez bien, Maître, je suis une personne d'un naturel très curieux, et cette prédisposition m'a amené à découvrir quelques secrets.
Aux origines, celui que nous connaissons comme le Bouddha était nommé « le Précurseur » par une partie des gens.
Dans une période lointaine de l'Antiquité, le précurseur Bouddha Gautama menait ses disciples pour qu'ils fassent rayonner la loi, et les hommes le vénéraient pour cela. Ainsi, lorsqu'il a renoncé à son existence physique pour rejoindre le Nirvana, le peuple en a été très affecté.
Lorsque le corps de Gautama fut brûlé, ses disciples découvrirent des perles multicolores au milieu de ses cendres, les "reliques du Bouddha". Ces perles étaient si dures que rien ne pouvait les briser, elles constituent le seul élément matériel rappelant la réalité terrestre du Bouddha Gautama.
Suivant la route commerciale qui traverse le Tibet, les reliques du Bouddha sont arrivées en Chine durant la dynastie Han, et se sont transmises de génération en génération, préservées des tourments de l'empire grâce à la protection de grands maîtres spirituels du Bouddhisme.
À présent, les reliques du Bouddha qui nous sont parvenues sont celles conservées par le grand maître Jianzhen au temple de la Lumière Prolongée, à Yangzhou.
Maître Jianzhen est un grand sage pétri d'érudition qui n'a cure des fastes de la vie moderne au milieu de laquelle il séjourne, et chérit plutôt les vestiges du passé.
Comme vous et moi, il sait qu'il y a à la cour les « Tortues d'or ».
Toutes sortes d'indices laissent à présager que des malheurs vont certainement se produire là-bas, mais nous ne savons pas quand.
Si les reliques tombaient entre les mains de personnes malveillantes et servaient à des causes malhonnêtes, je n'ose imaginer les conséquences que cela pourrait avoir.
Maître Jianzhen souhaite que les reliques soient emmenées loin des troubles et gardées dans un endroit lointain et secret.
Pour cela, il a tenté cinq fois de franchir la mer orientale. Loin de le décourager, ses échecs ont raffermi sa détermination.
Il m'est impératif d'aider maître Jianzhen à protéger les reliques, et si par la même occasion cela permet de faire passer la doctrine de la loi jusqu'au Japon, de ramener le peuple dans le bonne voie, cela serait pour moi un immense honneur.
Voilà pourquoi j'ai pris la décision de me joindre à l'expédition de Fujiwara et de quitter Chang'an.
Nous transportons en secret maître Jianzhen à bord pour le conduire jusqu'au Japon. Je prie le ciel pour que cette entreprise n'ait pas été découverte par les Tortues d'or, sinon un grand désastre nous guette.
Les quatre navires de notre expédition naviguèrent sur une mer d'huile, le voyage se déroulait bien.
Lorsque je fermais les yeux, je voyais déjà mon village natal.
"Levant la tête vers le ciel, mon esprit galope jusqu'à la ville de Nara, au-dessus des trois monts aux cimes en forme de chapeaux de paille, ma pensée va encore à la lune ronde."
Bien que mon pays approchait, lorsque je regardais la lune, c'est encore le souvenir de l'avoir contemplée avec mon ami Li Bai qui me venait. Aussi, je commençais à écrire cette lettre.
À ce moment, un éclair éclata au-dessus de l'eau.
Fujiwara et moi étions à bord du premier navire qui, sérieusement touché par la foudre, ne pouvait plus naviguer.
Nous avions perdu le contact avec les trois autres embarcations, et au milieu de la houle violente, j'avais quant à moi perdu espoir.
Lorsque j'ai rouvert les yeux, j'ai découvert que nous nous étions échoués sur une rive. Notre navire est complètement éventré, et je ne sais pas où nous nous trouvons. Fujiwara et moi donnons l'ordre aux hommes d'abandonner le navire pour partir chercher de l'aide.
Ici, est-ce déjà le Japon ou encore la Chine ?
Nous ne savons rien et ne sommes sûrs que de la terre ferme sous nos pieds. Si mon destin n'est pas de retourner dans mon pays natal, je dois l'accepter.
J'espère uniquement que le navire de maître Jianzhen est sain et sauf.
J'espère uniquement que les reliques du Bouddha parviendront sans encombre à destination.
J'espère uniquement que la Chine et le Japon resteront des nations en paix.
Je ne sais quand je pourrait expédier cette lettre, en attendant je la conserve contre moi.
Et s'il y a une vie après la mort, j'espère que vous et moi nous y retrouverons autour d'une cruche de vin.
Votre ami Abe No Nakamaro.
À mon cher maître Li Bai,
Alors que la guerre fait rage dans tout le pays, où êtes-vous mon cher maître ?
Après un an et demi d'un long et périlleux voyage, je suis enfin retourné à Chang'an. Je n'ai pas écrit avant aujourd'hui, car je ne trouvais pas le courage de parler des horribles événements passés.
La nouvelle de mon naufrage était parvenue à Chang'an avant moi, et tout le monde pensait que j'étais mort. Quand ils m'ont vu revenir en ville, ils m'ont pris pour un fantôme.
Peut-être bien que celui que j'étais avant est mort dans ces hautes vagues et que celui que je suis devenu n'est qu'un spectre qui nage en plein cauchemar.
J'ai oublié comment on s'y prend pour rire.
Souvent, j'ai envie de pleurer, mais les larmes ne coulent pas.
Jamais en paix, sans cesse en proie à la peur, je me réveille souvent en criant au milieu de la nuit.
Ma chambre, si familière autrefois, m'est devenue étrangère.
Je redoute tant de voir des gens que même quand des amis toquent à ma porte pour prendre de mes nouvelles, je n'ouvre pas.
Combien de temps cette vie va-t-elle durer ?
Ce n'est qu'à la lecture des vers que vous avez composés à ma mémoire que je peux pleurer et que le courage me vient enfin de saisir mon pinceau pour vous écrire.
Je vous avais écrit la lettre précédente depuis Annan, une ville côtière du sud de l'empire où nous avait menés notre errance. Quelques jour après, alors que nous cherchions de l'aide auprès de villageois, nous avons été attaqués par des inconnus. Tout notre équipage, près d'une centaine de personnes, a été tué. Seuls l'ambassadeur Fujiwara, une poignée de soldats et moi-même avons survécu.
Nos attaquants nous ont poursuivis, alors nous avons fui, cherchant à nous cacher tout en tentant de survivre dans cette région étrangère. Ils avaient dû apprendre que nous étions en possession des reliques du Bouddha. C'était pourtant un secret bien gardé. Étaient-ils envoyés par les « Tortues d'or » ? Je n'en suis pas sûr, mais il doit y avoir un lien.
Durant cette cavale, la seule chose qui me faisait tenir était de me remémorer les bons moments du passé. Mais progressivement, les souvenirs se faisant plus obscurs, j'avais du mal à me rappeler tout cela clairement. On dit que c'est sa mémoire de lui-même et des autres qui prouve qu'un homme est en vie. J'étais dans un lieu où je ne connaissais personne, une région parlant une langue étrangère, et je perdais la mémoire, mon esprit mourait.
Aujourd'hui, je me souviens à nouveau qui je suis.
Dommage que Chang'an ne soit plus ma Chang'an d'antan.
Ces temps-ci, depuis les nouvelles de la révolte d'An Lushan, tout l'empire est en proie à la panique.
La cour impériale a ordonné l'exécution d'An Qingzong, le fils aîné d'An Lushan, et fait ouvrir le trésor impérial pour embaucher 110 000 soldats afin de les envoyer à la capitale de l'est. De grands généraux ont reçu l'ordre de se battre contre An Lushan, parmi eux figurent certains de vos amis comme Gao Xianzhi, Feng Changqing ou Guo Ziyi.
Les gens pensaient qu'avec tant de glorieux généraux, la révolte serait matée en quelques jours. Mais la plupart des soldats recrutés ne sont que des hommes ordinaires comme vous ou moi. Ils sont plein d'entrain, mais n'ont aucune expérience de la guerre. L'armée rebelle, au contraire, est composée de soldats aux frontières et de tueurs professionnels. Même en nombre égal et avec l'aide d'armée volontaires, nos soldats courent un grand danger. Je prie pour que mes craintes ne soient pas fondées.
Je n'ai cessé de chercher des nouvelles de maître Jianzhen, mais impossible de savoir si lui et les reliques du Bouddha sont arrivés sains et saufs au Japon. Et j'aimerais tant vous revoir, mais j'ai entendu dire que vous aviez quitté Chang'an depuis un moment pour voyager vers l'ouest. Avec la guerre et le chaos qui règnent, je me fais du soucis pour votre sécurité.
Je prie pour l'empire Tang, pour le moine Jianzhen et pour vous.
Ne sachant où expédier cette lettre, je vais la garder sur moi.
Prenez bien soin de vous...
Votre ami Abe No Nakamaro
À l'attention de maître Li Bai
Cher ami,
La capitale de l'Est, Luoyang, est tombée.
Ce que je redoutais s'est finalement produit.
J'ai entendu dire qu'avant de se retirer à la passe de Tong, les généraux Gao Xianzhi et Feng Changqing ont coupé les acacias sur les bords de la route pour bloquer le passage.
Ils ont également ouvert les entrepôts de la ville, distribué les biens aux soldats et brûlé le grenier pour empêcher que cela serve à An Lushan.
Malgré cela, les rebelles les ont poursuivis et rattrapés.
Ainsi, ce fut la débandade parmi les soldats non expérimentés, ils se sont même piétinés mutuellement pour fuir. Les pertes ont été lourdes.
L'armée impériale a recruté à l'étranger mais aucun renfort n'est arrivé. Les événements ont dépassé l'imagination des gens.
La ville de Chang'an est aujourd'hui plongée dans la terreur.
Et à Luoyang, comment est-ce de vivre sous l'occupation des rebelles ?
Tout cela est incroyable.
Chaque jour me parviennent de mauvaises nouvelles et je m'inquiète pour vous, cher ami.
Heureusement, j'ai finalement appris où avait atterri maître Jianzhen.
Le navire dans lequel se trouvait maître Jianzhen lors du naufrage qui a fait échouer le mien a pu arriver au Japon sans dommages.
Il a rejoint le temple Todaiji à Nara et transmis à l'empereur et à la famille impériale les nouveaux canons bouddhiques.
Il aide également les moines à abandonner leur anciennes habitudes pour ordonner les nouvelles.
Il n'existait pas d'orthodoxie pour le bouddhisme au Japon, maintenant, grâce à maître Jianzhen, la voilà établie.
Les reliques sont conservées par le maître lui-même.
On dit qu'il envisage de construire un temple pour les y abriter.
L'architecture sera inspirée de celle de la dynastie Tang, il s'appellera Toshodai-ji, qui signifie « temple inspiré des Tang ».
C'est une grande entreprise.
La construction prendra plusieurs années et nécessitera de gros efforts.
Mais sa destruction pourrait arriver n'importe quand !
Est-ce que des membres des tortues d'or seraient venus secrètement au Japon pour rechercher les reliques ?
Cette question me tracassait, alors j'ai mené mon enquête.
Durant des dizaines de siècles, une association secrète contrôlait la cour au-delà des changements dynastiques.
Parfois ils soutenaient un empereur, parfois l'un d'eux s'emparait du pouvoir.
Comme vous le savez cher ami, les officiels des 5 rangs les plus élevés portent des insignes en forme de poisson servant à prouver leur identité et leur grade.
Sous le règne de l'impératrice Wu Zetian, associant son nom « Wu » à l'un des cinq animaux mythiques « Xuanwu » la tortue noire, elle fit changer les insignes de poissons en tortues. Parmi les neufs rangs, les moins gradés, de 6 à 9, ne portaient pas d'insigne, les rangs 3 à 5 portaient une tortue en argent et les trois plus gradés portaient une tortue en or.
L'impératrice avait placé ses proches aux plus hauts postes pour consolider son pouvoir.
Ces fonctionnaires les plus hauts gradés commencèrent à former une société secrète, contrôlant les postes importants à la cour et dans l'armée. Ils se firent appeler les « tortues d'or ».
L'une des figures majeures des tortues d'or à l'époque était le favori de l'impératrice : Zhang Yizhi.
Lors de la révolution de Shenlong il y a de cela cinquante ans, l'impératrice fut renversée, les tortues d'or exécutées et l'empereur Tang replacé sur le trône.
Les insignes redevinrent des poissons.
Cependant, la société secrète a survécu et ses membres ont continué d'utiliser entre eux les insignes de tortues pour prouver non leur grade mais leur appartenance. Ces insignes ne sont plus limités aux fonctionnaires des trois plus hauts rangs mais aux membres de cette société secrète.
D'après mon enquête, Yang Yizhi avait eu un fils avec une servante de l'impératrice afin de s'assurer une descendance qui restera à la cour.
Ce fils s'appelle Yang Guozhong !
J'en suis arrivé à la conclusion que Yang Guozhong fait aujourd'hui partie de la société secrète des tortues d'or et en est même le membre le plus influent.
Il y a quelques années, il a fait réhabiliter Yang Yizhi, ce qui corrobore ma thèse.
An Lushan, qui détient le pouvoir militaire est peut-être lui aussi une tortue d'or.
Je me souviens que lorsque la nouvelle de la rébellion d'An Lushan est arrivée à la cour, Yang Guozhong semblait réjoui, comme s'il avait la situation en mains.
Quel idiot ! Puis l'empereur a émis l'idée de reconquérir le pays par lui-même et de laisser les rênes du pouvoir au prince en son absence, et Yang Guozhong a commencé à manifester des signes d'agitation.
Comme vous le savez, Yang Guozhong agit en secret depuis des années pour éliminer le prince, alors lors d'une période de tutelle, le pouvoir aux mains du prince, Yang Guozhong risquait d'être le premier à se faire liquider.
Une connaissance à la cour m'a raconté que Yang Guozhong et madame Guo ont forcé la concubine Yang à faire pression sur l'empereur en lui disant : « si vous partez faire la guerre, vous ne me reverrez pas vivante ».
L'empereur aurait cédé au chantage et renoncé à partir en personne.
Lorsqu'un pays est en guerre, le premier ministre s'efforce de planifier une stratégie de défense contre les rebelles.
Mais Yang Guozhong ne s'intéresse qu'aux intrigues à son propre pouvoir.
Ainsi, il a provoqué An Lushan à plusieurs reprises, titillant ses velléités à se rebeller. Voilà la cause de toutes ces misères. Seigneur !
Qu'en est-il de la luette au sein des tortues d'or ? Parmi les hauts fonctionnaires de l'empire, combien font partie de cette société secrète ?
J'ai besoin d'enquêter plus avant pour confirmer mes suppositions.
Certains disent que vous fuguez vers le sud pour éviter le chaos, d'autres que vous êtes à nankin. Mais à présent, l'armée est en ébullition et toutes les routes sont fermées autour de Chang'an, personne ne peut me dire où vous vous trouver.
Ne sachant pas cette fois encore où expédier cette lettre, je vais la garde sur moi.
Prenez soin de vous,
Votre ami Abe No Nakamaro
Très cher maître Li Bai,
Me voilà enfin proche de la vérité.
Par où commencer ?
Je ne vois pas d'autre moyen de tout vous raconter depuis le début.
Le Livre des Mutations dit, à l'hexagramme « Révolution » : « Les rois Cheng Tang et Wu Wang firent la révolution pour recevoir le mandat du Ciel et plaire au peuple. »
Pendant les Printemps et Automnes puis durant les Royaumes Combattants, la Chine connut une longue période de désunion et de guerres civiles. Les Seigneurs de la guerre n'ont cessé de dresser des armées toujours plus fortes et de chercher à mieux administrer leurs états, ce qui a nécessité un grand nombre de lettrés et de fonctionnaires pour développer des méthodes de gouvernement et une philosophe, qu'on a nommée les « Cent écoles de pensée ».
Il y avait quatre principales doctrines philosophies :
le taoïsme prêchant l'inaction ; le confucianisme basé sur les relations dans la société humaine ; le mohisme prônant la liberté et l'égalité ; et le légisme qui imposait les lois et l'ordre.
Ces courants de pensée se sont affrontés et ont évolués au contact les uns des autres durant les longs siècle de l'histoire chinoise. Sous ces influences, les périodes de conflit et de paix, de chaos et d'ordre se sont succédées. Les partisans de la liberté et ceux de l'autorité ont affirmé leurs positions en créant des écoles et des organisations sous différents noms.
Dans une précédente lettre, je vous parlais de la Tortue d'Or, cette organisation secrète qui a vu le jour sous l'Impératrice Wu Zetian et se composait essentiellement de membres de sa famille et d'officiels de la cour.
En réalité, cette organisation n'était pas nouvelle, elle avait juste pris ce nouveau nom. Héritière d'une tradition pluriséculaire de maintien de l'autorité et de l'esclavage. Ces gens détiennent le pouvoir et l'utilisent pour contraindre les innocents, semer la terreur à la cour et vont jusqu'à mettre en péril le pays pour leur propre profit.
Après la mort de l'Impératrice, avec la restauration de la dynastie Tang, le pouvoir des Tortues d'or a beaucoup diminué. Le règne de sa Majesté Xuanzong et la florissante ère Kaiyuan sont la glorieuse époque que j'aime à garder en mémoire.
Il y a maintenant vingt ans de cela, le chef de l'organisation secrète qui s'était nommée elle-même les Tortues d'Or, Li Linfu, devint chancelier et prit le pouvoir à la cour.
Les Tortues d'Or devinrent terriblement influentes et manipulation, éviction des dissidents commencèrent à régner.
Afin d'évincer le prince héritier, il fit nommer An Lushan général et l'intégra à l'organisation secrète afin que son armée Elaha fournisse un bras armée aux Tortues d'Or.
Personne ne savait ce que Li Linfu pensait, ses décisions tombaient comme des surprises mortelles.
Yang Guozhong et An Lushan, tous deux membres influents des Tortues d'Or, étaient effrayés par la personnalité insaisissable de ce chef qui avait « du miel dans la bouche et un poignard à la main ».
J'ai entendu dire qu'à chaque fois qu'An Lushan s'entretenait avec lui, il ressortait trempé de sueur, terrorisé de n'avoir pu garder aucun secret face à Li Linfu.
Ainsi, Yang et An étaient contrôlés par Li Linfu et ne pouvaient laisser libre cours à leurs ambitions personnelles. Jusqu'à ce que Li meurt il y a quatre ans, à l'âge de 70 ans.
Selon la version officielle, il est mort de maladie, mais certains disent qu'il a été assassiné.
Li Linfu avait régné en despote pendant vingt ans, ses ennemis étaient nombreux, alors ce ne serait pas étonnant qu'il ait été tué.
Mais comme lui-même avait peur, il était protégé par des gardes, sa résidence sous surveillance et il changeait chaque nuit de lit, de sorte que sa propre famille ne savait pas où il dormait.
Qui aurait bien pu déjouer toutes ces ruses pour réussir à le tuer ?
Et si c'était l'œuvre d'un assassin, avait-il agi seul ?
Tout ce que je sais c'est que ceux qui désiraient le plus le voir lâcher les rênes du pouvoir étaient Yang Guozhong et An Lushan.
Avant même qu'il soit inhumé, Yang et An l'accusèrent de trahison. Il perdit tous ses titres et fut enterré comme un simple civile. Tous ses biens furent confisqués et sa famille exilée.
Yang Guozhong prit sa place en tant que chancelier et devint le nouveau chef des Tortues d'Or, ce qui fit enrager An Lushan.
Les querelles incessantes entre Yang et An pour prendre la tête des Tortues d'Or pourraient bien avoir conduit à la terrible crise que nous connaissons actuellement.
En janvier, An Lushan a fondé sa dynastie à Luoyang et s'est autoproclamé empereur. À cause des pillages et des meurtres auxquels lui et ses hommes se sont livrés, sa dynastie a d'emblée perdu la confiance du peuple. Pour cela, ses jours sont comptés.
J'ai entendu dire que le général Wang Chengye a fait tuer trois traîtres à la passe de Tumen et apporté leurs insignes de tortues à l'Empereur. C'est une excellente nouvelle pour sa Majesté qui a immédiatement récompensé Wang Chengye.
Wang Chengye est resté à la capitale et s'occupe de la garde personnelle de Yang Guozhong.
Pour être franc, j'ai des doutes au sujet de ce Wang Chengye.
De tous temps, la passe de Tumen a été un endroit stratégique. C'est là qu'à eu lieu la célèbre bataille qui a donné naissance à l'expression : « Tenter la ruse en dernier recours ». Alors si Wang Chengye a tué trois généraux acquis à l'ennemi, pourquoi après n'est-il pas resté sur place pour tenir la passe ? Pourquoi est-il allé en personne à Chang'an ? Pour recevoir les honneurs ?
J'ai fait part de mes interrogations à l'Empereur, mais Sa Majesté n'écoute que ce qu'elle veut entendre, et à ce moment, elle avait besoin de bonnes nouvelles. Aussi, mes avertissements sont restés lettre morte.
À présent, je n'ai plus d'occasion d'alerter Sa Majesté. Depuis que Yang Guozhong est à la tête des Tortues d'Or, lui et ses sbires sont sans cesse autour de l'Empereur, ils l'aveuglent, lui mentent et je n'ai aucune chance de pouvoir m'approcher de l'Empereur.
Moi aussi, je crains que ça tourne mal pour moi si j'essaye.
Tout ce que je ne peux dire tout haut, je le confie dans cette lettre à mon ami Li Bai.
Tout comme il tua injustement Gao Xianzhi et Feng Changqing, Yang Guozhong voulut ensuite se débarrasser de Ge Shuhan. Même si je savais ce qui allait se passer, je ne pouvais rien pour l'en empêcher.
Yang Guozhong fit courir le bruit que l'armée d'An Lushan n'était plus composée que de vieux soldats faibles et malades ; et que le moral de son armée était au plus bas. Ge Shuhan étant un général expérimenté, il sentit que c'était une ruse de Yang Guozhong et refusa d'envoyer son armée au combat. Cependant, l'Empereur était pressé d'en finir avec cette insurrection et il écouta les conseils de Yang Guozhong, persuadé que la victoire était assurée pour l'armée impériale. Sa Majesté envoya des messagers successifs à la Passe de Ton jusqu'à convaincre Ge Shuhan de mener ses hommes au combat. Tout en déplorant l'insistance de l'Empereur, Ge Shuhan n'eut d'autre choix que de donner l'ordre d'envoyer ses troupes : deux cent mille hommes quittèrent la passe vers une bataille perdue d'avance.
Bien sûr, personne n'en fut étonné, c'était une embuscade de l'ennemi. L'armée Tang fut défaite, les deux cent mille hommes massacrés et la passe tomba aux mains de l'ennemi.
À présent, l'armée rebelle peut attaquer Chang'an à tout moment.
Cher ami, je n'aurais bientôt plus d’encre pour continuer cette lettre. Elle sera peut-être la dernière que j'écrirai, mais j'aurai au moins consigné par écrit ce qu'il me tenait à cœur de révéler. Même si elle ne parvient jamais jusqu'à vous, j'espère qu'elle donnera des éléments aux générations futures pour connaître la vérité.
Tout ce qui est relaté dans cette lettre est digne de confiance ; après tout, en tant qu'ancien Secrétait superviseur, j'ai eu accès à toutes les sources disponibles. Les registres et les documents du palais constituent l'essentiel de mes sources. Tout est consigné et pour peu qu'on s'en donne la peine, on peut trouver les informations sur tous les faits historiques de l'Empire.
Par exemple, dans un coin poussiéreux d'une des nombreuses salles du palais se trouve un vieux grimoire plein de formules magiques obscures. Il se nomme Tui bei tu et ses prophéties annoncent les événements actuels : la crise du pouvoir, l'invasion d'An Lushan, Et il va même plus loin dans l'avenir.
Quel dommage que nous n'ayons pas su écouter ses enseignements à temps, ces catastrophes auraient pu être évitées. Et quel dommage que je n'ai pas pensé à l'emporter avec moi lors de ma fuite de Chang'an ! Il est resté dans un coin du Palais Jingxing. J'espère que, comme les reliques du Bouddha que le moine Jianzhen est parti mettre en sûreté, ce livre ne sera pas détruit ou brûlé lors de la prise de la capitale.
Selon le Tui bei tu, il s'agit d'un conflit vieux comme le monde entre la lumière et les ténèbres, une lutte entre la justice et la corruption, la liberté et l'autorité.
Notre génération s'est habituée à vivre dans un mode en paix, alors nous avions oublié les temps où régnait la barbarie. On ne profite pas des bons moments parque qu'on oublie que l'histoire se répète toujours. Que nous le voulions ou non, nous devons faire face au fait que nous entrons maintenant dans une ère de guerre et de souffrance. Et cela à cause du conflit interne à l'organisation des Tortues d'Or, à cause de ces hommes puissants qui font passer leur soif de pouvoir avant la vie des gens.
Ainsi, pendant des centaines et des milliers d'années, il y eut des gens qui se cachaient et luttaient dans l'ombre pour restaurer la paix et la liberté. Où sont-ils maintenant ?
Cher maître Li Bai !
Dans les vingt-quatre comtés de la préfecture du Hebei, anciens royaumes de Yan et de Zhao de l'époque de Royaumes combattants, se trouvent nombre de chevaliers passionnés épris de justice. Ces bretteurs émérites se battent à leur manière pour faire triompher des valeurs justes, et ce n'est pas parce que nous ne les voyons pas que ces héros n'existent pas. Tôt ou tard, quelqu'un sera capable de rassembler ces forces encore invisibles et ensemble, ils combattront la barbarie.
Je viens de recevoir un message confidentiel de la plus haute importance. Sa Majesté a décidé de quitter Chang'an avec la cour pour aller se réfugier dans le Sichuan. Je suis invité à faire partie du voyage. Vous savez mieux que moi comme cette route est longue et épuisante. Mais après mes nombreux naufrages et voyages en mer, je crois que je suis capable d'endurer ce périple.
J'espère que chacun à notre façon, nous pourrons contribuer à ce que la lune puisse encore briller à travers les nuages sombres.
Votre ami Abe No Nakamaro
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