Histoire de Bagdad est, avec la base de données, une section du Codex de l'Animus HR-8.5 destinée à apporter à son utilisateur des informations historiques sur la ville de Bagdad, capitale du califat abbasside.
Arts et sciences[]
Abu 'Uthman al-Jahiz (celui à la cornée saillante) fut un prolifique écrivain du IXe siècle considéré comme l'un des meilleurs auteurs en langue arabe de tous les temps. Malgré des origines modestes (son père était un chamelier noir), son style d'écriture plein d'esprit attira l'attention de la haute société de Bagdad, qu'il ravit et croqua sur le ton de la satire dans plus de cent-vingt ouvrages.
La spécialité d'al-Jahiz était le style adab, qui cherchait à représenter, par des exemples éclectiques, le mélange de bonnes manières et de culture que l'on attendait d'un haut fonctionnaire, d'un courtisan ou d'un scribe cherchant à briller dans les cercles de l'élite : références historiques et poétiques, répliques célèbres de rhétorique, plaisanteries, anecdotes, etc. Les livres d'al-Jahiz abordaient ainsi des sujets très différents en apportant des observations toujours pertinentes. Dans son Kitab al-Hayawan (Livre des Animaux), par exemple, il a décrit plus de 350 espèces animales connues à l'époque et a remarqué combien les facteurs environnementaux généraient des caractéristiques nouvelles chez des organismes qui, s'ils survivaient, les transmettaient à leurs rejetons.
S'il a vendu du poisson durant son enfance, la seule occupation professionnelle qu'on lui connaisse fut l'écriture et ses apparitions dans les salons intellectuels (majlis). Il fut à ce titre l'un des premiers écrivains professionnels de l'histoire. Selon la légende, même sa mort fut liée à sa passion pour la littérature : il aurait été écrasé par l'effondrement d'un rayonnage tandis qu'il cherchait quelque chose dans son impressionnante collection de livres !

Deux lièvres mangeant des baies, Livre des Animaux d'al-Jahiz
Présente depuis longtemps dans la péninsule arabique et la bordure orientale de la Méditerranée, la langue arabe se propagea dans tout l'empire par l'intermédiaire des conquêtes des VIIe et VIIIe siècles et l'instauration de colonies arabophones. L'association de politiques déterminées et de la pression des pairs en fit la lingua franca de l'essentiel du territoire s'étendant des Pyrénées à l'Himalaya.
L'expansion et la popularité de l'arabe s'expliquent par de nombreux facteurs. Tout d'abord, c'était la langue liturgique de l'islam et sa maîtrise était nécessaire à la lecture et à la compréhension du Coran et d'autres textes religieux. La lente mais constante propagation de cette religion dans l'empire entraîna l'adoption de sa langue sacrée par les nouveaux convertis. En outre, dans les années 720, une large part de l'administration de l'empire avait été arabisée. Ceux qui désiraient progresser sur l'échelle sociale et sur le plan politique comprirent rapidement l'intérêt de savoir l'arabe. Enfin, il devint une sorte de langue commune permettant aux diverses populations de l'empire d'échanger en matière de commerce, d'arts et de sciences.
Mais s'il était devenu la langue dominante de l'empire, l'arabe n'en fut jamais la seule. Parmi les autres langues utilisées, on peut citer le persan en Iran, le syriaque en Syrie, le berbère en Afrique du Nord, le copte en Égypte et l'hébreu partout où se trouvait une population juive. Il est probable que la plupart des habitants d'une ville aussi cosmopolite que Bagdad possédaient une connaissance même rudimentaire de plusieurs langues.

Feuillet du « Coran bleu », IXe-Xe siècle, Tunisie, Kairouan (?)
Bien avant l'invention de la lunette astronomique, les civilisations antiques mirent au point des moyens de cartographier le ciel. Partant de ces connaissances, les érudits abbassides affinèrent les méthodes et créèrent des instruments encore en usage de nos jours.
Le plus important et peut-être celui ayant la plus grande longévité est l'astrolabe. Il fut créé au IIIe siècle AEC par des astronomes grecs en tant que moyen de « tenir l'univers dans le creux de la main ». Un astrolabe est en effet un cercle gravé représentant la rotation des étoiles (selon l'appréhension du monde géocentrique précopernicienne de l'époque) autour de la Terre. Un cercle au centre de l'astrolabe représente l'utilisateur, situé sur une ligne correspondant à l'horizon. Divers points indiquent les étoiles connues. À partir du VIIIe siècle, les astronomes abbassides améliorèrent l'astrolabe en y ajoutant des éléments permettant de déchiffrer la date et l'heure du jour, ou d'autres disques gravés mentionnant les étoiles visibles sous d'autres latitudes, à destination des voyageurs.
Cet appareil avait de nombreux usages : détermination des heures de lever et de coucher du soleil et des étoiles, calcul de la hauteur des immeubles ou de la largeur des cours d'eau et découverte des heures de prière ou de la direction de La Mecque. Les astronomes abbassides trouvèrent des centaines, sinon des milliers, de manières d'employer cet instrument très commode !

Astrolabe, IXe siècle, Afrique du Nord
On dit que lorsque l'on est perdu dans le désert, l'observation des étoiles permet de se diriger vers le salut. Comme leurs prédécesseurs omeyyades, les califes abbassides étaient convaincus de l'utilité de l'observation des étoiles et financèrent la construction d'observatoires et la traduction de nombreux ouvrages d'astronomie grecs, indiens et persans. L'un des plus importants ouvrages d'astronomie en arabe de l'époque fut, au Xe siècle, le Traité sur les étoiles fixes (un commentaire de l'Almageste de Ptolémée) d'Abd al-Rahman al-Soufi (903-986). Illustré de descriptions d'étoiles et de constellations connues depuis l'Antiquité classique, il fut largement copié et utilisé dans les siècles qui suivirent. al-Soufi est considéré comme le premier astronome à avoir observé la galaxie d'Andromède !
Les astronomes abbassides ne s'intéressaient pas seulement aux aspects théoriques de cette discipline, mais aussi à ses applications pratiques, en particulier l'astrologie, l'art visant à déterminer les jours propices aux diverses activités. Par exemple, le calife al-Mansur fit appel à des astrologues pour savoir où et quand bâtir Bagdad.
Tenter de connaître l'avenir par une telle méthode supposait une grande connaissance des mouvements des corps célestes. De longues observations et des calculs complexes étaient nécessaires afin de créer des tables astronomiques décrivant les positions précises de la lune, du soleil et des cinq planètes connues : Mercure, Vénus, Mars, Saturne et Jupiter. Les événements marquants tels que les crues et les invasions étaient notés à côté et étaient parfois utilisés pour suggérer des liens de causalité entre les étoiles et l'histoire humaine. L'astronomie était par conséquent considérée comme un outil au service de l'astrologie, mais pouvait également être employée seule pour le calcul des heures de prière ou de la superficie des terres. Quel qu'ait été leur objectif final, les astronomes de la période abbasside ont largement contribué à la découverte de nombreuses étoiles (Altaïr, Aldébaran) et à la définition de termes astronomiques (azimut, nadir) encore employés de nos jours.

Traité d'al-Soufi sur les étoiles fixes, Copie du XVe siècle d'une œuvre du IXe siècle, Iran
Fils d'un expert en astronomie (et bandit de grand chemin !) de l'est de la Perse, les frères Banu Musa ont grandi à la cour du calife. Agents politiques de talent, généreux mécènes scientifiques et inventeurs prolifiques, ils incarnent à la perfection les érudits d'élite du Bagdad du IXe siècle.
Leur père, Musa ibn Shakir, est devenu l'ami de celui qui était alors le prince al-Mamun (813-833) alors qu'il était gouverneur du Khorassan (est de la Perse et Ouzbékistan). Grâce à ce lien, les « fils de Musa », Abu Jafar, Ahmad et al-Hasan, purent bénéficier d'une éducation approfondie après la mort de leur père. Auprès des mathématiciens et astronomes de la Maison de la Sagesse, ils acquirent de nombreuses compétences scientifiques, techniques et linguistiques. Ils prirent part aux calculs d'al-Khwarizmi portant sur la circonférence de la Terre, financèrent des voyages destinés à l'achat de livres dans l'empire byzantin et publièrent une vingtaine d'ouvrages sur divers sujets. Le plus important fut le Kitab al-Hiyal (Livre des Mécanismes ingénieux) qui contenait des descriptions détaillées et illustrées d'une centaine d'appareils mécaniques tels que des fontaines automatiques et des instruments de musique mettant en œuvre des principes simples de pression et d'hydraulique pour produire de merveilleux effets. D'autres étaient des « récipients singuliers » comme cette jarre séparant l'eau du vin.
Leur proximité avec le calife les aida à acquérir des postes importants et lucratifs en tant qu'architectes et urbanistes responsables de la construction de canaux. Abu Jafar participa même aux complexes négociations portant sur la désignation du nouveau calife après les décès d'al-Mutawakkil (847-861) et de son fils al-Muntasir (861-862).

Extrait du Kitab al-Hiyal d'Ahmad ibn Musa, Copie du XIIIe siècle d'un original du IXe siècle, Bagdad, Irak
Dans le Bagdad de l'époque abbasside, tous les savants et érudits savaient que la Terre était sphérique. Cette connaissance provenait de la lecture de manuscrits grecs traduits, le principal étant l'Almageste de Ptolémée, qui fut traduit par le grand astronome abbasside al-Sufi. Elle était également liée à leur emploi de concepts géométriques simples et d'équations trigonométriques pour en calculer la circonférence.
Vers 240 AEC, un mathématicien grec appelé Ératosthène avait utilisé les ombres projetées par des poteaux de bois pour calculer que deux villes étaient séparées par 7 degrés, soit un cinquantième d'une sphère. Il multiplia alors la distance entre ces deux points par cinquante pour connaître les dimensions de la Terre, avec une erreur ne dépassant pas 5 % de la valeur obtenue par les calculs modernes. Vers 830, une équipe de 70 mathématiciens comprenant le célèbre al-Khwarizmi (780-850) reproduisit cette expérience. En améliorant la méthode de leurs prédécesseurs, ils s'efforcèrent de réduire le risque d'erreur en employant des points séparés d'un seul degré. Quittant Bagdad pour suivre un trajet orienté nord-sud dans le désert, ils s'arrêtèrent à l'endroit où l'a hauteur de l'étoile Polaire avait changé d'un degré. Leurs calculs donnèrent un résultat similaire à ceux d'Ératosthène. Plus tard, un autre savant, al-Biruni (973-1050), parvint à un résultat encore meilleur en utilisant une montagne comme étalon de mesure !
Ces deux expéditions étaient en partie motivées par le désir de connaître l'étendue du territoire par rapport à celui des pays voisins et rivaux, mais aussi par l'obligation de prier en direction de la Kaaba de La Mecque, quel que soit l'endroit où l'on se trouve. Ceci prouve que les croyances religieuses et les recherches scientifiques ne sont pas toujours antinomiques.

Globe céleste, 1144, Iran
Au IXe siècle, des médecins persans dépêchés à Bagdad pour soigner les maux du calife se virent attribuer un financement destiné à ouvrir et assurer le fonctionnement de six hôpitaux généraux ou bimaristans (lieux pour les malades). Ces vastes ensembles étaient ouverts à tous et jouaient aussi le rôle d'écoles de médecine. Les soins qu'on y délivrait reposaient sur les deux piliers de l'expertise traditionnelle et de l'observation empirique, cette dernière prenant une place sans cesse croissante au fil du temps.
De nombreux travaux de médecins grecs, romains et persans de l'Antiquité tels qu'Hippocrate et Galien furent traduits en arabe dès le VIIIe siècle. Ils fournirent un cadre théorique connu sous l'appellation de « médecine des humeurs », dans lequel une maladie correspondait à un déséquilibre entre les quatre humeurs (sang, lymphe, bile et atrabile), des « systèmes » chimiques censés réguler le comportement humain. Les praticiens cherchaient par conséquent à rétablir cet équilibre par la saignée, l'emploi de laxatifs ou des modifications du régime alimentaire ou du cadre de vie. Il s'agissait d'une approche globale du traitement médical.
Mais les médecins bagdadiens ne suivaient pas aveuglément la tradition. La plupart des traitements faisaient l'objet d'essais et d'analyses, y compris l'inscription de formules magiques sur les récipients, et leur efficacité était rationalisée par la théorie des humeurs. L'un des plus célèbres directeurs d'hôpital de Bagdad, Abu Bakr al-Razi, aussi appelé Rhazès (854-935), accordait une grande place à l'observation et à l'expérimentation, déclarant que la remise en cause des points de vue traditionnels constituait le fondement de la médecine. Cet état d'esprit innovateur l'amena à distinguer la variole de la rougeole, ce qui n'avait jamais été fait auparavant.

« Préparation d'un remède à partir de miel », dans une traduction en arabe De Materia Medica de Dioscoride, 1224, Bagdad, Irak
Bâtie sur ordre du calife al-Mansur (754-775), la maison de la Sagesse était la bibliothèque royale abbasside où l'on conservait les savoirs anciens et où on les traduisait en arabe. Réunissant la plupart des plus grands esprits de l'empire, c'était une institution majeure du Bagdad du IXe siècle.
L'idée consistant à associer lieu d'enseignement et bibliothèque n'était pas une innovation abbasside. La Bayt al-Hikma reprenait le modèle de lieux antérieurs tels que la Grande bibliothèque d'Alexandrie ou l'Académie de Gondichapour en Perse. Cela fit peut-être partie du dessein d'al-Mansur de présenter sa dynastie comme les successeurs légitimes des rois sassanides persans du VIIe siècle, dont le souvenir était toujours cultivé par les élites persanes de l'empire abbasside.
Quoi qu'il en soit, la maison de la Sagesse en vint à abriter au moins 8 000 volumes en arabe, dont les titres nous sont parvenus par l'intermédiaire du Kitab al-Fihrist (Catalogue des livres) compilé par Ibn al-Nadim en 987-988. Ces ouvrages traitaient de sujets très variés allant de l'astrologie à la zoologie.
Apparemment, cette institution souffrit des absences du calife de la capitale après 836 et elle n'est plus mentionnée après le règne d'al-Mutawakkil (847-861). Elle reste cependant l'exemple le plus marquant de l'intérêt des califes pour les sciences et son existence engendra une émulation amenant tous les dirigeants du monde musulman à mettre en place et entretenir des salles de lecture et des lieux de travail pour les savants et les érudits.

Extrait de l'Al-Maqamat d'Hariri al-Basri, 1237, Bagdad, Irak
Les fils de calife étaient élevés au harem, loin du monde sur lequel ils seraient appelés à régner. De nombreux modes d'éducation étaient employés, des précepteurs à des postes administratifs spéciaux. Parmi eux, il existait le genre littéraire appelé « miroir des princes » dans lequel les enseignements prenaient la forme de paraboles. Le plus célèbre exemple portait le titre de Kalila et Dimna.
Ce recueil de fables conte l'histoire d'un roi, Dabchelim, qui cherche conseil auprès du sage Bidpai en matière de gouvernance et de politique de cour. Le vieillard lui répond par des histoires entrelacées mettant en scène des animaux, en particulier les deux chacals Kalila et Dimna, qui cherchent à se faire admettre auprès du roi lion en racontant des histoires animalières subtiles.
La création de Kalila et Dimna est typique de nombreux autres ouvrages de l'époque. L'ouvrage apparut tout d'abord dans un texte indien du IIIe siècle AEC appelé Panchatantra, qui fut traduit du moyen perse vers l'arabe aux alentours de l'an 750. De nouveaux éléments furent ajoutés à chaque étape. Le traducteur, Ibn al-Muqaffa, fut un écrivain prolifique et l'un des plus grands intellectuels de la cour abbasside, auteur à la fois de traductions et d'œuvres originales. Son travail fit non seulement connaître des ouvrages indiens et persans à un large public, mais les préserva aussi pour les générations à venir. Kalila et Dimna a, à son tour, inspiré nombre de recueils d'histoires, du Prince de Machiavel aux Fables de La Fontaine, et demeure très lu de nos jours.

Le corbeau, le cobra et le chacal, un conte de Kalila et Dimna, XIIIe siècle, Bagdad, Irak
Une révolution technique joua un rôle majeur dans le rayonnement scientifique de l'empire abbasside : la fabrication du papier et sa prolifération.
Avant l'invention du papier, on écrivait sur des tablettes en argile, de la soie, de la roche, des carapaces de tortue, de la peau d'animal traitée (parchemin) ou du papyrus, chacun de ces supports présentant des contraintes. Le papier, qu'il était possible de produire en grande quantité, est une surface lisse et résistante et un support d'écriture bien plus commode que tous ceux cités précédemment.
La tradition attribue l'invention du papier à un fonctionnaire de la cour chinoise du Ier siècle, Cai Lun, même si diverses formes de fabrication de papier existaient déjà depuis plusieurs siècles. Son usage se répandit d'abord dans l'administration, puis dans tous les aspects de la vie quotidienne. Au VIIIe siècle, la fabrication du papier se répandit d'Extrême-Orient jusqu'à l'empire abbasside, probablement du fait de la capture d'ingénieurs chinois par des soldats du califat. Mais les techniques de production de papier chinoises et moyen-orientales étaient très différentes, les premières employant essentiellement des fibres issues d'arbres et les secondes, des chiffons. Il est par conséquent plus probable que des voyageurs empruntant la route de la soie aient apporté l'idée avec eux, et qu'elle fut adaptée au cadre bagdadien. De là, le papier gagna l'Europe au XIe siècle.
Le remplacement des coûteux papyrus ou parchemins par le papier, à la fois économique et durable, eut un effet majeur sur la vie intellectuelle dans l'empire abbasside. Il rendit la fabrication de livres plus facile, plus rapide et moins chère. On trouvait des copistes sur les marchés, et des bibliothèques publiques et privées apparurent dans tout l'empire. En outre, la possibilité d'échanger des idées grâce à la circulation d'exemplaires de livres contribua à l'épanouissement de la pensée en Eurasie, en Afrique du Nord et en Europe. Ceci permit d'importantes découvertes dans les domaines des mathématiques, de l'astrologie, de la médecine et des techniques quelque 800 ans avant la prétendue révolution scientifique.

Feuillet d'un manuscrit du Coran - 1137, Iran ou Irak
La période abbasside se caractérisa par d'importants accomplissements qui façonnèrent profondément la recherche scientifique. L'un des plus importants fut l'émergence de ce que l'on qualifie de nos jours de méthode scientifique : une culture reposant sur l'examen des résultats et des données d'autres intellectuels, qu'ils soient contemporains ou antérieurs, par exemple de célèbres personnages de l'Antiquité comme Ptolémée. Des outils tels que ce mortier et cet alambic eurent un rôle crucial dans ces activités.
Les érudits et savants de l'époque s'affrontaient en vue d'obtenir protection et financement de la part des califes. Il leur fallait par conséquent de nouveaux moyens d'acquérir des connaissances et de justifier leurs découvertes. Ceci stimula leur appétit pour les traductions d'ouvrages scientifiques d'auteurs anciens ou étrangers. La vérification des calculs astronomiques ou des démonstrations mathématiques de ces savants célèbres et, si possible, leur amélioration ou leur infirmation étaient d'excellents moyens de se faire connaître et reconnaître. Les érudits travaillant à la maison de la Sagesse examinaient et commentaient avec fébrilité les résultats de leurs prédécesseurs et rivaux. Ils reproduisaient les expériences et tentaient de faire progresser les méthodes et modes de calcul. Lorsque leurs résultats différaient de ceux de leurs pairs, ils tentaient d'expliquer pourquoi et poursuivaient leurs recherches. Les tentatives de calcul de la circonférence terrestre via la reproduction d'une expérience remontant à la Grèce antique par une équipe de mathématiciens comprenant le grand al-Khwarizmi (780-850) et les améliorations apportées aux méthodes et résultats de cette équipe par al-Biruni (973-1050) constituent les meilleurs exemples de la mise en œuvre de la méthode scientifique et de l'examen des résultats par des pairs.

À gauche : mortier en bronze à douze faces avec fleurons d'animaux et panneaux à motifs végétaux - XI-XIIe siècle, Afghanistan
À droite : récipient sphéroconique (matériel de chimie) - XIIe siècle, Irak ou Iran
Vers l'an 850, une confrontation épique eut lieu sur le domaine de l'un des membres de l'élite de l'empire. Les deux plus éminentes qayna (« chanteuses ») de l'époque, Arib al'Mamuniyya (797-890) et Shariyah (815-870), furent invitées à un concours musical visant à les départager. Ces deux femmes étaient nées esclaves, ayant chacune un père aristocrate et une mère elle-même qayna. Grâce à leurs talents, elles avaient acquis richesse, influence et même leur liberté. Dans les années 840, elles étaient devenues enseignantes, formant d'autres jeunes esclaves qui interprétaient leurs compositions musicales dans tout Bagdad. Leur duel était par conséquent un événement très attendu, même au-delà de la cour.
Des membres des deux écoles s'affrontèrent à coups de chants et de poèmes créés par leur enseignante. Toutes appliquèrent à la perfection les complexes règles de style de l'époque et abordèrent des thèmes allant du sermon religieux aux joutes grivoises. À la fin, Arib et Shariyah s'affrontèrent elles-mêmes lors d'une discussion aux réparties pleines d'esprit. Au moment décisif, la première parvint à prouver que sa rivale plus jeune avait « emprunté » certaines de ses mélodies à d'autres qayna à succès. Pour Shariyah et ses mécènes, ce fut un coup très rude. Arib reçut pour sa victoire des terres, de l'or et des soieries.
Cette histoire, ainsi que des dizaines d'autres du même genre, furent rapportées au Xe siècle dans le Kitab al-Aghani (Livre des Chansons) d'Abu al-Faraj al-Isfahani. Cet ouvrage, l'un des plus importants textes arabes médiévaux, montre l'importance qu'avaient la musique et la poésie dans l'empire abbasside. Dans une société profondément influencée par la culture orale de l'Arabie et de la Perse antique, la création de beaux poèmes était l'un des meilleurs moyens d'attirer l'attention d'un mécène et, dès lors, d'acquérir renommée et richesse.

Portrait équestre de Badr al-Din Lu'lu' du Kitab al-Aghani (Livre des Chansons) d'Abu al-Faraj al-Isfahani – 1217-1219, Irak
Prolongeant la riche tradition des littératures indienne et persane, le recueil de contes en arabe intitulé Les Mille et Une Nuits est apparu à Bagdad au IXe siècle. Malgré son nom, il comprenait initialement environ deux cents récits dont l'action se déroulait dans le cadre de l'époque : les grandes villes de Bagdad et de Damas, le calife Haroun al-Rachid ou la vie au bazar.
Tout le recueil est articulé autour de l'histoire de Shéhérazade, une femme brillante qui se porta volontaire pour épouser le roi Schahriar. Sa première épouse lui ayant brisé le cœur par son infidélité, le roi réagit en épousant chaque soir une nouvelle femme et en la faisant exécuter au matin, afin que plus aucune ne puisse lui être de nouveau infidèle. Afin de rester en vie et d'épargner d'autres femmes, Shéhérazade entreprit de lui raconter une histoire qu'elle se gardait de terminer, ce qui amena le roi à l'épargner le matin venu afin d'en connaître la suite. Ces récits prirent de nombreuses formes, des contes parlant d'animaux amis d'enfants à des poèmes très érotiques. Certains ne faisaient que quelques paragraphes, d'autres couvraient des dizaines de pages. Leurs nombreux thèmes comprenaient les notions de justice et le traitement injuste qu'avait infligé Schahriar à ses épouses. Le thème de femmes sauvant des vies en racontant des histoires était très apprécié. On peut voir ici des scènes du Sindbadnama, dans lesquelles les femmes du harem content des histoires pour sauver la vie d'un jeune prince.
Les Mille et Une Nuits furent décrits avec mépris par le bibliographe du Xe siècle Ibn al-Nadim, qui considérait ses sujets comme indignes d'un lectorat cultivé. Mais cette opinion demeura minoritaire et le succès de ce recueil auprès de la société abbasside se matérialisa par une large diffusion au sein du califat et bien au-delà. Depuis, les écrivains et scribes de diverses cultures ont ajouté, ôté et modifié certaines des histoires. Certaines des plus célèbres, comme Aladin et Ali Baba, ont pu être ajoutées fort tard, jusqu'au XVIIIe siècle. Cette longue évolution transculturelle explique en partie l'attrait universel des Mille et Une Nuits.

Extraits présentant divers épisodes du Sindbadnama de Mohammed ibn Ali Katib al-Samarqandi – XVIe siècle, Turquie
Le VIIIe siècle marqua le début, à Bagdad, d'une démarche visant à acquérir des manuscrits de diverses origines et à les traduire en arabe, avec les financements appropriés. Dirigé par des savants et érudits travaillant à la maison de la Sagesse, ceci contribua à la préservation et à la propagation de savoirs antiques, tout en facilitant les découvertes nouvelles.
Les califes abbassides financèrent ces traductions et certains d'entre eux s'intéressèrent même personnellement aux travaux des traducteurs. Ils semblent avoir accordé une attention particulière à l'astrologie et à l'astronomie, disciplines dont on pensait qu'elles pouvaient fournir les dates propices au lancement de certaines entreprises, ainsi qu'à la médecine, qui contribuait naturellement à leur propre survie. Leur exemple fut suivi par d'autres membres importants de l'élite sociale. Les administrateurs souhaitèrent acquérir des compétences en mathématiques afin d'évaluer les revenus et d'entretenir les réseaux d'irrigation. Les théologiens musulmans trouvèrent utile la traduction de textes dialectiques grecs (en particulier ceux d'Aristote) afin d'appuyer les croyances musulmanes face aux critiques de non musulmans. Les courtisans tenaient à acquérir ou étoffer leur crédibilité intellectuelle par la lecture d'ouvrages historiques et militaires afin de briller en société.
Ces traductions étaient souvent assurées par des Persans ou des Syriens, qui parlaient leur langue natale aussi bien que l'arabe et employaient souvent le moyen perse ou le syriaque comme langue intermédiaire. Ces traducteurs faisaient venir des manuscrits de la Byzance grécophone ou se rendaient eux-mêmes sur place en quête d'ouvrages. Certains textes étaient également obtenus via des canaux diplomatiques, comme le Zij al-Sindhind, des tables astronomiques apportées par un émissaire des Indes à la cour d'al-Mansur.
Les ouvrages traduits étaient ensuite copiés et lus dans tout l'empire abbasside, et même par-delà ses frontières. Certains livres de philosophie grecs ou de mathématiques indiens, traduits et revus à Bagdad, eurent ainsi une grande influence dans l'Europe des XIIe et XIIIe siècles.

Plumier avec encrier – IX-XIe siècle, Nishapur, Perse
Croyances et vie quotidienne[]
Le droit musulman interdisait la consommation d'alcool parce qu'elle altérait le jugement et entraînait des comportements déplacés. Elle était donc considérée comme un péché grave. Cependant, les érudits religieux abbassides débattirent de la portée exacte de cette prohibition. Certains l'interprétèrent comme une interdiction totale de la consommation de toute forme d'alcool tandis que d'autres limitèrent l'interdiction à la consommation excessive, à l'ébriété sur la voie publique ou à la consommation d'alcool issu de fruits (raisins, dattes, etc.) sans bannir l'hydromel ou la bière, par exemple.
En pratique, l'alcool était cependant consommé comme le prouvent de nombreux textes et coupes et autres récipients comme celui-ci portant l'inscription « Bois ! Les bénédictions de Dieu vont au propriétaire de cette coupe. » L'alcool fut même un thème poétique majeur d'un genre littéraire appelé khamriyyat, qui faisait les louanges du vin, de l'ivresse et des plaisirs de la table. Ces textes indiquent que l'on consommait de l'alcool dans toutes les couches de la société, y compris parmi le clergé et les hauts fonctionnaires. Il semble que la question de l'alcool et de son interdiction se soit surtout axée sur l'ébriété en public (qui pouvait déboucher sur l'intervention de la police), alors qu'il existait une tolérance plus large pour la consommation d'alcool dans des lieux privés.
Les principaux producteurs d'alcool étaient apparemment des membres non musulmans de la société abbasside. La plupart d'entre eux n'appliquaient pas les mêmes règles religieuses et brassaient ou vinifiaient des breuvages qu'ils consommaient. Les monastères comptaient parmi les plus célèbres viticulteurs. Il leur était interdit d'en vendre à leurs voisins musulmans, mais de nombreux récits de visites bien arrosées à des moines et même de flacons ornés de représentations de prêtres semblent indiquer que la règle n'était pas suivie par tous.

Coupe avec dessins gravés
VIII-IXe siècle, Irak ou Syrie
Les époques omeyyade et abbasside furent marquées par d'importants progrès en agriculture sur l'ensemble du territoire du califat. Ils furent facilités par la superficie de l'empire et un système fiscal favorisant les terres irriguées. Bien que parfois qualifiée de « révolution » agricole, cette période correspondit plutôt à la généralisation et à l'intensification de techniques existantes.
Les infrastructures antérieures telles que les aqueducs, canaux et lacs de retenue romains et perses furent agrandis et mis en place sur des terres auparavant arides. L'emploi d'appareils agricoles tels que les moulins à eau, élévateurs d'eau à propulsion animale (saqiya) et vis sans fin, connus sur le pourtour méditerranéen mais jusque-là peu utilisés dans la région, se répandit. Des plantes couramment cultivées dans les régions orientales de l'empire, comme la canne à sucre et la banane, furent acclimatées dans de nouvelles régions : Égypte, Maghreb, péninsule luso-ibérique. Ceci généra des récoltes plus abondantes, la croissance des villes et… une abondance d'agrumes !
Ces changements s'accompagnèrent d'une concentration des terres dans les mains de l'élite. Les travaux d'irrigation de grande ampleur rapportaient beaucoup, mais étaient également coûteux et seuls des propriétaires terriens déjà riches pouvaient assumer de telles dépenses. L'époque abbasside s'est donc caractérisée par la généralisation de gigantesques domaines au détriment des petits paysans, ce qui engendra un large mécontentement.

Dessin de roue hydraulique animée par un âne, Automata d'al-Jazari
1315, Syrie ou Irak
Avec un climat aussi aride, l'approvisionnement en eau de Bagdad reposait sur un vaste réseau de cours d'eau naturels et artificiels avec, en tête, le Tigre et son affluent, la Diyala. S'y ajoutait un système de canaux dont la construction s'est étendue sur plus d'un millénaire, et que les Omeyyades et Abbassides ont restauré et étendu. Entourant la ville, ce réseau était incroyablement dense et comprenait aussi bien de larges canaux navigables que d'étroits fossés. Une partie de l'eau provenait également de canaux communiquant avec l'Euphrate, à l'ouest.
Ce système gigantesque répondait à de multiples besoins. Il fournissait à la ville l'eau nécessaire à la consommation courante, à l'hygiène, aux égouts, etc. Il jouait un rôle crucial dans l'irrigation des terres cultivées entourant Bagdad, les transformant en grenier à blé pour la ville et ses faubourgs en pleine croissance. Reliés par des canaux, le Tigre et l'Euphrate étaient aussi des voies de communication et marchandes de portée mondiale, transportant passagers et marchandises de l'océan Indien à la région méditerranéenne. Enfin, ce réseau hydraulique pouvait aisément être transformé en moyen défensif. La plupart des ponts de Bagdad étaient en réalité des pontons que l'on pouvait démanteler ou détruire en cas d'attaque.
L'utilité de ce système avait néanmoins un revers : son coût. Son entretien exigeait une main-d'œuvre nombreuse et des efforts épuisants de la part d'ouvriers libres et d'esclaves.

Plan de la ville ronde et de ses environs
1900
Avec le temps, les rites inspirés par la vie du prophète Mahomet s'agrégèrent pour former un rite funéraire musulman pratiqué dans tout l'empire. Il avait notamment pour spécificité une période de deuil limitée à quelques heures. Dans ce temps très bref, le corps était lavé dans des maisons ou mosquées un nombre impair de fois, à l'aide d'eau parfumée. Selon la richesse des proches, le défunt était revêtu d'un suaire spécifique ou d'une étoffe propre, enveloppé un nombre impair de fois, le tissu de plus grande qualité étant employé pour la tête. Enfin, le corps était apporté au cimetière lors d'une procession rassemblant membres de la famille, amis et voisins. Le défunt était déposé sur le flanc, tourné vers la Mecque et le jugement final de Dieu. L'importance des nombres impairs dans ces cérémonies était liée à la notion d'unicité de Dieu dans la théologie musulmane.
Chacune de ces étapes relevait de la perception de l'au-delà. On croyait que les défunts attendaient le jour du jugement, où ils apparaîtraient dans l'état où ils avaient été inhumés. Leur sort éternel serait alors décidé : soit Janna, la dernière demeure des justes, ou paradis, soit Jahannam, le lieu du châtiment des malfaisants, ou enfer. Naturellement, cette vision de la mort sous la forme d'une transition n'empêchait pas la tristesse : les cimetières abbassides étaient pleins de gens rendant visite à leurs proches, leur offrant des poèmes et des prières, mais aussi de petits gages d'affection ou des souvenirs.

Pierre tombale
Xe siècle, Nishapur, Perse
Le mot dhimma signifie « obligation » et était utilisé à l'époque abbasside pour désigner l'obligation fiscale envers l'État à laquelle étaient soumises les populations conquises. Les personnes subissant la dhimma, appelées dhimmis, étaient souvent des descendants de chrétiens, juifs, zoroastriens et autres dont le « pays » faisait désormais partie de l'empire abbasside. Elles représentaient une part importante de la population de l'empire.
Leur statut était justifié par des versets du Coran opérant une distinction entre pratiquants d'une religion monothéiste autre que l'islam et « païens » polythéistes. Ces derniers devaient être convertis, tandis que les premiers pouvaient conserver leur vie, leurs biens et leur liberté religieuse en échange de leur loyauté et de l'acquittement d'un impôt. Des récépissés fiscaux tels que celui-ci étaient importants, car ils permettaient à ces gens d'apporter la preuve de leur situation.
De nombreux dhimmis occupaient des postes importants et publics au sein de l'empire. Par exemple, les chrétiens syriaques eurent un rôle majeur dans les « programmes » de traduction. Le plus célèbre traducteur de l'époque fut Hunayn ibn Ishaq, un chrétien nestorien exerçant la profession de médecin. Ayant maîtrisé l'arabe, le syriaque, le grec et le persan, il traduisit plus d'une centaine d'ouvrages, en particulier dans les domaines médical et scientifique. Cela lui rapporta des revenus considérables, équivalents à ceux de certains gouverneurs de province ! D'autres dhimmis servirent les califes abbassides en tant que médecins, astronomes, collecteurs d'impôt et même vizirs.
Cette politique démontre le grand pragmatisme des califes : lors de l'expansion musulmane des septième et huitième siècles, très peu de musulmans disposaient du savoir-faire administratif permettant d'assurer la gestion quotidienne des villes dont ils s'emparaient, et laisser une certaine forme de pouvoir à l'élite locale adoucissait quelque peu sa reddition. Cela continua à s'appliquer à l'époque abbasside : lorsque le calife al-Mansur (754-775) tenta de chasser les dhimmis de l'administration, il dut les rappeler en hâte car leur expertise fit cruellement défaut.

Récépissé fiscal bilingue
634, Égypte
« Qu'on fasse venir mon noble… âne ? » Cela peut paraître très insolite, mais à l'époque abbasside, l'âne était considéré comme l'un des animaux les plus nobles qui soient, dignes des rois et, comme l'indiquent certaines légendes et des manuscrits ornementés, du prophète Mahomet en personne. Ceci explique l'appellation assez étonnante de ce bâtiment.
Le dôme de l'âne (Qubbat al-Himar) a été bâti par le calife al-Mouktafi bi-llah (902-908) dans le coin sud-ouest de son palais. Il est décrit dans des textes médiévaux comme très haut, avec un escalier en colimaçon si peu pentu que le calife pouvait le gravir à dos d'âne formé à la marche à allure tranquille. Pour qu'un âne puisse atteindre son sommet, ce bâtiment devait être très vaste et haut.
Le nom du dôme avait également une grande importance pour une autre raison. L'année de l'âne occupait une grande place dans le calendrier des Abbassides, car c'est lors d'une de ces années qu'a eu lieu la révolution qui leur a permis d'accéder au pouvoir. L'année de l'âne est également présente dans certaines croyances musulmanes liées au Jugement dernier. Le Qubbat al-Himar avait donc un nom important que les gens de l'époque assimilaient à la noblesse, à la royauté et au paradis. Ce pouvoir symbolique se perpétua pendant des siècles, comme l'indique ce carreau en forme d'étoile de la période ilkhanide (1256-1353).

Carreau en forme d'étoile avec l'âne
XIII-XIVe siècle, Kachan, Iran
L'instruction rudimentaire était accessible à la plupart des garçons et des filles dans les villes abbassides. Alors que les rejetons de l'élite disposaient de précepteurs à la maison, les enfants moins fortunés de 6 à 9 ans se rendaient au mekteb (ou kuttab, le lieu d'écriture), une école généralement située dans une mosquée. Elle était tenue par un enseignant masculin payé par les parents ou par des dons de personnes pieuses dans le cas d'enfants miséreux ou d'orphelins. Sa tâche consistait à enseigner aux enfants à lire et à écrire en recopiant des versets du Coran sur le support qu'ils pouvaient trouver (papier, tablette d'argile, voire du sable). Des éléments d'arithmétique et des préceptes religieux élémentaires tels que les ablutions et prières étaient également enseignés. Mais l'accomplissement le plus apprécié de tout élève était de mémoriser et réciter les 6 348 versets du Coran, une prouesse qui valait à l'enfant une récompense et même une procession honorifique à travers la ville !
La plupart des enfants ne poursuivaient pas leurs études au-delà de l'école élémentaire. Il existait cependant des cours pour adultes que n'importe qui pouvait suivre. Ils comportaient des conférences sur des thèmes tels que l'exégèse du Coran, le droit, la théologie, la logique ou la médecine. Pour devenir maître, un élève devait suivre les cours jusqu'à ce qu'il soit considéré comme assez savant et se voie décerner une ijaza, sorte de diplôme. Ces cours pour adultes se déroulaient dans des lieux publics de grande taille, souvent la cour d'une mosquée. Au XIe siècle, le système se développa encore et s'articula autour des madrassas, des écoles pour adultes financées par des dons.
Les chercheurs sont partagés à propos de la possibilité pour les filles de suivre des cours publics. Être en classe avec des garçons et se rendre au mekteb pouvait être la cause de « méfaits » tels que le harcèlement, l'agression ou une simple conversation. Cela pouvait également empêcher les filles d'apprendre les compétences domestiques qu'elles étaient censées acquérir. L'idée selon laquelle elles devaient recevoir un enseignement à la maison était par conséquent assez répandue, même s'il existait des exceptions. Les filles de familles riches et cultivées, par exemple, pouvaient bénéficier d'une éducation approfondie à domicile, et l'on connaît des centaines de noms d'érudites, mais ce nombre n'est rien comparé à celui des érudits masculins de la période.

Mekteb, Maqamat de Hariri
Copie du XIIIe siècle d'un original du Xe siècle, Irak
Une fois dans sa vie, tout musulman ayant physiquement et matériellement la possibilité de le faire doit effectuer le pèlerinage de La Mecque, la ville la plus sainte de la religion musulmane. Ce « hajj » n'a lieu qu'une fois par an, durant le douzième et dernier mois du calendrier lunaire musulman. Il commémore des événements de la vie du prophète Ibrahim (Abraham), de son fils Ismail (Ismaël) et de la mère de ce dernier, Hajar (Hagar). Selon les croyances musulmanes, ils rebâtirent à La Mecque un temple (la Kaaba ou « cube ») qui avait été créé par des anges afin de vénérer Dieu, et qui avait reçu la visite d'Adam et Ève, les parents de l'humanité. Au cours des cinq jours que dure le hajj, les musulmans effectuent une série de rites rendant hommage à Dieu sur le lieu de son premier temple et symbolisant leur unité avec les autres croyants. Tous vêtus des mêmes modestes vêtements blancs, les pèlerins se déplacent en harmonie autour de la Kaaba, rejetant symboliquement la tentation du diable en jetant des cailloux sur les colonnes, et partageant des repas.
Parcourir des milliers de kilomètres de désert et de pistes montagneuses pour rejoindre La Mecque était une entreprise éprouvante et dangereuse pour les pèlerins originaires de tout le monde musulman. Il était de la première importance de trouver et de transporter de l'eau potable, et les flasques telles que celle-ci étaient des objets précieux pour les pèlerins. L'une des principales missions des califes était par conséquent de les aider en entretenant les infrastructures de transport, en procurant des provisions et en patrouillant les routes. La plus célèbre de ces œuvres caritatives est la piste de Zubayda, un réseau de bornes, de puits, de fanaux et de caravansérails fondé par la première épouse du calife Haroun al-Rachid (786-809).

Flasques de pèlerin mamelouks
XVe siècle, Afrique du Nord
Avant que la plomberie moderne fasse de la salle de bains privée une installation courante, le hammam (bain public) était l'une des institutions majeures de toute grande ville de l'empire abbasside. Il jouait un rôle central dans la promotion de l'hygiène et de la santé publique, et était l'un des points névralgiques de la vie sociale urbaine.
À l'époque abbasside, les bains publics étaient déjà une tradition ancienne dans la région. De nombreux bains avaient été bâtis par les Perses et les Romains à l'époque de leurs empires respectifs, et servirent d'inspiration pour les califes. Les Omeyyades, prédécesseurs et rivaux des Abbassides, sont célèbres pour les bains qui représentaient une part importante de leurs palais. Par exemple, les bains de Khirbat al-Mafjar, près de Jéricho, formaient un bâtiment monumental décoré de fresques, mosaïques et stucs sculptés dans le style gréco-romain. Mais aucune ville n'était aussi célèbre que Bagdad pour le nombre, la qualité et la richesse de ses bains. Un auteur du XIe siècle, Hilal al-Sabi, est allé jusqu'à prétendre que la ville en comptait 60 000 !
Les clients se rendaient dans des salles baignées de vapeur et des bassins où l'eau était à des températures variées, ce qui stimulait la circulation sanguine et nettoyait le corps de ses impuretés par la transpiration. Les hammams n'étaient pas mixtes, hommes et femmes se rendant dans des lieux distincts ou à des horaires différents. C'était en revanche l'un des rares endroits où des gens de couches sociales et de groupes religieux différents pouvaient se rencontrer pour se détendre et entretenir des relations sociales. Les concours de poésie et les négociations commerciales, politiques et diplomatiques étaient monnaie courante dans ces lieux embués de vapeur.

Hammam de Khirbat al-Mafjar
VIIIe siècle, Jéricho, État de Palestine
La plupart des mariages représentaient autant l'union de deux familles que celle de deux individus. Il était juridiquement impossible pour une femme d'accorder sa main, elle avait besoin de l'aval d'un membre masculin de sa famille. Le prétendant, qui avait pu rencontrer brièvement la jeune fille dans la rue ou dans un cadre organisé par la ou les familles, devait faire la preuve de sa capacité à assurer son bien-être en offrant une dot dont la future épouse aurait la propriété et assurerait la gestion. Une fois l'autorisation de mariage convenue, une fête était organisée par la famille de l'épousée. La scène festive représentée dans cette maison de céramique est peut-être un mariage.
Certaines interprétations du droit religieux permettaient à un homme d'avoir jusqu'à quatre épouses simultanément. Dans la mesure où un mari devait consacrer autant d'attention et de moyens matériels à chacune de ses épouses et, selon certaines écoles juridiques, obtenir l'autorisation de la ou des épouses existantes pour un nouveau mariage, le nombre de situations polygamiques était en réalité assez faible en dehors de l'élite de la société.
Le divorce était une procédure reconnue dans la société abbasside. Des versets du Coran et le droit religieux considéraient le divorce comme un droit auquel pouvaient recourir le mari comme la femme, mais il suffisait à l'époux de procéder à une déclaration, tandis que l'épouse devait intenter une action par l'intermédiaire de membres masculins de sa famille. Tout motif était recevable et la séparation pouvait intervenir même si le couple avait eu des enfants. Cependant, dans un tel cas, ils demeuraient avec la mère jusqu'à ce qu'ils aient atteint un âge synonyme d'une certaine maturité, à partir duquel ils pouvaient aller vivre auprès de leur père.

Maquette de maison avec scène festive
XII-XIIIe siècle, Iran
De nos jours, on considère largement que l'islam repose sur cinq piliers, des croyances et pratiques communes, à un certain degré, à tous les musulmans.
Le premier est le monothéisme et son affirmation par la chahada, une déclaration selon laquelle « il n'est d'autre dieu que Dieu » et que « Mahomet est son prophète ». Pour devenir musulman, il suffit de réciter cette assertion avec conviction.
Le deuxième pilier est la prière, à laquelle on se livre cinq fois par jour, à des horaires déterminés. La prière commence par des ablutions rituelles des mains, du visage et des pieds. Ensuite, à l'appel du muezzin, les musulmans se tournent vers La Mecque et récitent des versets du Coran en silence ou à voix haute tout en adoptant une série de postures précises. Ils peuvent prier n'importe où mais doivent, dans la mesure du possible, assister chaque vendredi à une prière publique dans une mosquée afin de ressentir la ferveur religieuse commune.
Le troisième est l'aumône d'une part déterminée de sa richesse afin d'aider les miséreux.
Le quatrième est le jeûne, des premières lueurs du jour à la nuit tombée, pendant le mois saint du ramadan. Il est considéré comme une période d'introspection vis-à-vis de ses propres besoins et d'ouverture et de compassion envers les moins fortunés.
Enfin, chaque musulman en mesure de le faire doit accomplir, au moins une fois dans sa vie, le pèlerinage de La Mecque, habillé des mêmes modestes vêtements blancs que les autres pèlerins afin de souligner leur égalité.
Les « cinq piliers » sont évoqués dans le Coran et dans des anecdotes relatives à la vie du prophète Mahomet. Cependant, les détails de leur mise en œuvre ont évolué au fil du temps, entraînant de légères différences dans la pratique de l'islam selon les croyants.

Feuillet d'un exemplaire du Coran
IXe siècle, Afrique du Nord
Dans le Bagdad des Abbassides, les étoffes étaient partout : rideaux aux portes, séparant des espaces entre colonnades, sols de terre battue recouverts de tapis et salles traversées par des personnes richement vêtues. Ce décor chamarré provenait de divers lieux de production situés dans tout l'empire.
Les talentueux artisans adaptaient leurs créations aux désirs et aux ressources de toutes les couches de la société. Par exemple, la plupart des habitations de Bagdad n'étaient pas décorées d'élégants tapis colorés, mais plutôt de nattes faites de jonc, de paille ou de chanvre brut. Elles étaient généralement très simples, dépourvues d'ornements en dehors de deux bandes de texte stylisé composé de bénédictions et de vœux de bonheur à l'attention de leur propriétaire, comme dans le cas de la natte de roseaux présentée ici, qui porte l'inscription suivante : « Bénédiction sans réserve, prospérité universelle, bonheur perpétuel et joie à son propriétaire ». Certains étaient néanmoins très élégants : les nattes fabriquées à Tibériade et Abadan étaient décrites comme « plus douces que la soie » et pouvaient être pliées en deux, comme si elles avaient été en tissu. Les techniques et styles de tissage de tapis ont peut-être été influencés par l'arrivée dans la ville et aux alentours d'un nombre croissant de soldats ghilman d'origine turque. Venant de régions plus froides, ils ont peut-être apporté et fait connaître l'usage de tapis plus épais et de feutre sur le sol des habitations.
Les ouvriers textiles abbassides étaient également célèbres pour leur production de tiraz, des broderies faites de métaux précieux et même de fils d'or. Le calife en faisait cadeau à des courtisans qu'il désirait honorer et aux ambassadeurs. Leur fabrication faisait par conséquent l'objet d'un contrôle très strict et seuls des ateliers d'État en produisaient. Il y était souvent inscrit le nom du dirigeant ou des versets du Coran. Remis lors de cérémonies solennelles, ils étaient considérés comme extrêmement précieux.

Natte en roseaux
Xe siècle, Tibériade, sur le territoire de l'État actuel d'Israël
Vie à la cour[]
Les eunuques étaient des hommes castrés qui disposaient de postes élevés à la cour abbasside et dans d'autres cours musulmanes de l'époque des califes, malgré leur statut d'esclave. Ils servaient leur maître dans de nombreux rôles : hauts fonctionnaires de la cour, enseignants, trésoriers, messagers, gardes du corps et chefs militaires. Ils supervisaient aussi la création d'objets de luxe tels que ce coffret en ivoire. Mais l'une de leurs tâches les plus importantes était d'assurer la sécurité du harem. De ce fait, ils travaillaient souvent en lien avec des femmes occupant une position puissante à la cour.
Outre les Abbassides et, avant eux, les Omeyyades, de nombreuses cours firent appel à des eunuques au cours de l'histoire, en particulier celles de la Chine des Tang, de Byzance et de la Perse sassanide. Dans tous les cas, la justification du recours aux eunuques tenait au fait que, sans descendance et loin de leur famille et de leur terre natale, aucun lien n'était susceptible d'empiéter sur leur loyauté envers le calife et les élites qu'ils servaient. Leur castration levait toute restriction à leurs interactions avec des femmes, contrairement aux hommes « entiers ». Ils pouvaient donc entretenir des rapports aussi bien avec les hommes que les femmes de la cour et avaient accès à tous les lieux, en particulier le harem.
Cela permettait de leur confier le rôle de messager et d'agent politique assurant la liaison entre les sphères publique et privée de la vie du calife. Ils bénéficiaient souvent d'une grande confiance en matière de situations politiques sensibles, transmettant les nouvelles de la santé du calife, voire annonçant sa mort à l'extérieur du harem, et dirigeant des armées lors des guerres civiles et des rébellions. Enfin, les eunuques pouvaient être des membres importants des factions en place à la cour, en particulier celle entourant la mère du calife ou d'enfants du calife. S'ils choisissaient le mauvais camp, cela pouvait avoir des conséquences graves.

Coffret en ivoire sculpté
966-968, Cordoue, Espagne
Depuis l'Antiquité, les jardins constituaient, pour les gouvernants, un moyen de montrer leur emprise sur la nature. De ce point de vue, les impressionnants jardins du calife étaient les dignes successeurs des jardins suspendus de Babylone, des parcs clos des Perses (pairi daiza, paradis) et des jardins des villas de la Grèce et de la Rome antiques.
Les jardins abbassides perpétuèrent les pratiques mises en place par les dirigeants antiques et les califes précédents en Syrie, en Jordanie et en Irak. Les califes abbassides établirent d'immenses terrasses de jardins dont la fonction et la signification allaient des aspects pratiques et agricoles aux vertus plaisantes et cérémonielles. Ils transformèrent ce cadre en paysage fertile en plantant une grande variété d'arbres tels que les dattiers et de nombreuses plantes aussi délicieuses qu'odorantes. Leurs vastes terrasses rectangulaires comportaient des bassins, des fontaines et des pavillons entourés de ou séparés par des voies d'eau et des passerelles. Les jardiniers cultivaient un grand nombre de variétés de fleurs et de plantes aromatiques originaires de tous les coins de l'empire. Les jardins étaient soigneusement délimités par des murs et plantés d'arbres offrant une protection contre le vent et le sable, et disposaient de systèmes hydrauliques sophistiqués permettant à la fois une préservation de l'eau et sa mise en valeur sous forme artistique.
Les jardins abbassides étaient les cadres de cérémonies telles que les audiences du calife, les revues militaires et les concours de poésie. Ils avaient aussi pour but d'impressionner les alliés comme les rivaux, en particulier les Byzantins. Certains considéraient ces jardins comme une métaphore de l'ordre divin du monde et des aperçus terrestres du paradis céleste promis à tous les musulmans.

Reconstitution par Ernst Hersfeld de la terrasse de jardins, à proximité du palais abbasside
1911-1913, Samarra, Irak
Les artisans abbassides associaient les techniques artistiques de l'Antiquité gréco-romaine et les traditions persanes. Ils les utilisaient de manières nouvelles et créatives qui furent largement adoptées dans tout l'empire et créèrent un style abbasside aisément reconnaissable.
L'une de ses principales caractéristiques était l'emploi de déroulés abstraits et de motifs végétaux répétés à l'envi. Ces motifs stylisés sont d'abord apparus sur les murs et bas-reliefs en stuc, mais ne tardèrent pas à orner également les plats, vêtements et même les livres. Certains historiens l'ont qualifié de style en biseau, car il est caractérisé par des formes symétriques, abstraites, végétales dont les contours sont taillés en biais. Apparu durant la première moitié du IXe siècle à Samarra, ce style se répandit dans tout l'empire au Xe siècle.
Ces motifs étaient utilisés en combinaison avec d'autres types de décorations, par exemple des fresques peintes et des mosaïques de verre. L'architecture abbasside était aussi décorée de carreaux de céramique vernissée. Avec le temps, le fait de recouvrir les surfaces à l'aide de carreaux de céramique colorée devint l'une des caractéristiques majeures de l'architecture musulmane.

Décoration murale d'habitation privée
IXe siècle, Samarra, Irak
Outre ses nombreux résidents humains, la cour du calife abritait toutes sortes d'animaux. Originaires de tous les coins de l'empire et présentés en public comme lors d'événements plus privés, ils symbolisaient le pouvoir et la générosité du calife. Les ambassadeurs ébahis étaient accueillis dans la capitale par des éléphants recouverts de soieries, et le calife chevauchait un splendide pur-sang à l'occasion de ses apparitions en public. Zubayda, épouse du calife Haroun al-Rachid (786-809), a même possédé un singe dressé qu'elle habillait en général. Mais l'animal le plus présent à la cour était le faucon de chasse sur les sites de fauconnerie du calife.
Depuis l'Antiquité, dans la culture perse, les faucons étaient associés aux divinités et aux rois, ce qui ne manqua pas d'influencer la cour abbasside. Par leur vol gracieux et leur efficacité meurtrière, ils étaient assimilés à divers êtres célestes protecteurs du bien et ennemis du mal. En apercevoir à la veille d'une bataille ou utiliser leurs plumes sur une arme était considéré comme une protection surnaturelle. Les dresser était par conséquent un moyen de maîtriser l'aide divine et de cultiver sa légitimité.
Les califes utilisaient aussi les faucons pour la chasse ainsi que lors de démonstrations publiques d'adresse. Ils consacraient des sommes considérables à l'achat et à l'entretien de ces animaux. De vastes campagnes de chasse assuraient l'emploi à temps plein d'un grand nombre d'organisateurs, dresseurs, vétérinaires et assistants travaillant sous la supervision de l'al-Bayzar (maître fauconnier), l'un des principaux officiers de la cour. Des professionnels de la capture, qui s'emparaient des œufs et des jeunes au nid, ainsi que des marchands d'oiseaux de sport du monde entier vivaient également de ce passe-temps très onéreux. Les faucons étaient également des sujets de poésie et de guides. L'un des plus célèbres de ces guides, le Kitab al-Mutawakkili, fut écrit pour le calife al-Mutawakkil, lui-même passionné de chasse.

Aiguière en bronze
VIIIe siècle, Perse
Les repas pris en commun constituaient une part essentielle de la vie à la cour. Pour les hôtes, il s'agissait de montrer leur générosité ; pour les invités, de distraire un potentiel mécène et de profiter d'un repas gratuit. Il était par conséquent crucial pour chacun de prouver ses bonnes manières et sa connaissance de l'étiquette afin de prouver sa sophistication et son statut social.
Dans son Kitab al-Bukhala (Livre des Avares), al-Jahiz recourt à de brèves anecdotes pour enseigner au lecteur les bonnes manières. À l'époque, un festin typique organisé à la cour ou dans la demeure d'un riche Bagdadien se tenait dans une salle de réception où les invités faisaient connaissance, discutaient, chantaient et buvaient jusqu'à ce que le dîner soit servi. Tout le monde se servait ensuite dans un bol, pot ou plateau commun posé sur le sol ou une table basse. Ces festins proposaient généralement une verrerie élégante, comme cette coupe dont l'inscription offre la bénédiction divine à son propriétaire.
Pendant le repas, il fallait faire montre de patience et de retenue, faute de quoi on passait pour un picoreur (une personne se servant avant que le plat ait été déposé, un peu l'équivalent de notre pique-assiette moderne) ou pour un goulu (une personne s'emplissant les bajoues de ragoût de pois, de bouillon au persil et de boulettes de viande avant de gober le tout d'un coup). Un comportement égoïste ou déplacé, comme se lécher les doigts avant de les plonger dans la sauce commune, était considéré comme une faute rédhibitoire.
Bagdad fut la capitale et la résidence du calife pendant l'essentiel de la période abbasside. Cependant, avant la fondation de la ville comme par la suite, certains califes préférèrent vivre ailleurs.
Le premier calife abbasside, As-Saffah (750-754), se choisit pour capitale la ville d'al-Anbar (« le grenier »), lieu de franchissement majeur de l'Euphrate situé dans une région extrêmement fertile. Du IIIe au VIIe siècle, cette ville porta le nom de Peroz-Chapour, le « Chapour victorieux », du nom du roi sassanide Chapour Ier qui, en 244, avait remporté une grande victoire contre une armée romaine à proximité de la ville. Le choix de ce lieu d'une grande importance stratégique et symbolique semblait justifié, mais la population de la ville prit ombrage de ce qu'elle considéra comme une « usurpation » abbasside et continua à appeler le palais du calife Hubayra, du nom du dernier gouverneur omeyyade de l'Irak. Quand le calife al-Mansur (754-775) succéda à As-Saffah, il chercha rapidement un autre emplacement pour sa capitale et finit par fonder Bagdad en 762.
Quatre-vingts ans plus tard, un autre calife abbasside se choisit à son tour une autre capitale. Le calife al-Mu'tasim (833-842) tenait à éloigner son armée des vicissitudes politiques de Bagdad. En 836, il déplaça la cour, l'administration et l'armée vers une grande ville nouvelle située à 130 kilomètres au nord de Bagdad : Surra Man Ra'a ou Samarra (« dont la vision enchante »). Il s'agissait d'une création de toutes pièces, qui démontrait par la même occasion la puissance du califat. Mais c'était aussi une position intenable en raison, en partie, de l'insuffisance de son approvisionnement en eau. En 892, après le retour des califes à Bagdad, lassés de dépenser des sommes considérables pour Samarra, ses élégants bâtiments devinrent de gigantesques ruines au passé doré. Bien préservées, elles ont été inscrites au patrimoine mondial de l'UNESCO en 2007 et offrent un exemple sans équivalent de l'architecture et de l'urbanisme à l'époque abbasside.Économie[]
Le géographe allemand Ferdinand von Richthofen créa l'expression « route de la soie » en 1877 afin de désigner le réseau de voies marchandes reliant l'Eurasie dans l'Antiquité et au Moyen Âge. Si elle est marquante et à présent bien connue, cette expression est également trompeuse.
Il n'a jamais existé une route unique reliant la Chine à l'Europe, presque personne ne traversait le continent de part en part et les marchandises transportées étaient loin de se limiter aux soieries. Certaines contraintes géographiques (la chaîne de l'Himalaya, les monts Zagros, le désert du Taklamakan...) imposaient l'emploi de quelques itinéraires communs, mais les conditions météorologiques et l'évolution de la situation politique de telle ou telle région obligeaient les voyageurs à modifier leurs projets. En raison de la longueur du trajet (quelque 12 000 km) et de sa durée (deux ans), fort peu de gens le parcouraient en entier et l'on avait plutôt affaire à une série d'intermédiaires qui acheminaient les marchandises sans parcourir eux-mêmes beaucoup plus d'une cinquantaine de kilomètres. La verrerie produite à Bagdad pouvait donc parvenir en Corée sans être accompagnée par un marchand bagdadien. L'ensemble constituait plutôt un réseau reliant l'est et l'ouest, mais comptant aussi des voies terrestres nord-sud et des routes maritimes à travers l'océan Indien.
Bagdad, que le fleuve Tigre connectait à l'océan Indien, et situé près de la vallée principale traversant les monts Zagros pour déboucher en Iran, était idéalement placé pour tirer profit de ces itinéraires. Cette situation était parfaitement connue de son fondateur, le calife al-Mansur (754-775) qui, selon l'historien du IXe siècle al-Tabari, déclara lors de la création de la ville : « Voici le Tigre que rien ne sépare de la Chine, et par lui arrive tout ce que peut apporter la mer. »
Le bazar persan et le souk arabe étaient des marchés constitués de nombreux étals, pour certains couverts. Ils étaient le cœur de toute ville abbasside. On y trouvait les marchandises du quotidien mais aussi des délices exotiques, vendus par des marchands locaux et des voyageurs originaires de contrées lointaines.
Le grand bazar de Bagdad était un espace public permanent où hommes et femmes pouvaient se réunir, discuter et acheter la nourriture quotidienne, des matériaux de base et d'autres objets utiles. Ses allées abritaient des artisans tels que les bijoutiers et cordonniers, mais aussi des marchandises apportées de tous les coins de l'empire par les caravanes. On y croisait aussi fréquemment les inspecteurs du marché chargés de veiller à la qualité des produits, à la justesse des balances et au paiement de tous les droits et impôts.
En règle générale, les marchés étaient organisés par produits, chaque portion étant consacrée à un type de marchandises. Les objets les plus précieux étaient vendus dans une partie spécifique du bazar appelée « qaysariyya ». À Bagdad, le plus important était le Shahar Suq (les « quatre marchés ») disposant de zones dédiées à la vente des chevaux, des étoffes de qualité et des livres, plus une consacrée à la vente des esclaves. Les étals colorés des vendeurs de tissus en faisaient l'une des parties les plus éclatantes du marché, qui ne manquait pas d'émerveiller les voyageurs. Les Bagdadiens assez riches pour s'en offrir y trouvaient de la mousseline des Indes, des soieries de Chine et des cotonnades brodées de Samarcande ou de Cordoue.
Pour financer ses nombreuses dépenses, l'État abbasside s'appuyait sur les impôts en argent ou en nature. Le taux d'imposition dépendait de la religion du contribuable, les musulmans payant moins que les dhimmi.
Quatre types d'impôt constituaient l'essentiel des ressources de l'État abbasside. L'un était seulement acquitté par les musulmans : la zakat. Il s'agissait d'une aumône volontaire prescrite par le Coran à tout musulman qui en avait les moyens. Vers l'an 730, elle se mua en un impôt obligatoire de l'ordre de 2 % sur la richesse totale d'un individu, au-delà d'un seuil plancher.
Deux impôts s'appliquaient exclusivement aux non musulmans. La djizya était payée par tous les non-musulmans mâles adultes, libres et sains d'esprit résidant dans l'empire. Au début du IXe siècle, elle s'élevait à 48 dirhams (environ 3 grammes d'argent) pour les riches, 24 pour les modérément riches (les marchands) et 12 pour les pauvres (artisans et journaliers). Elle pouvait être versée en nature, sous la forme de toute marchandise à l'exception des porcs, du vin et des animaux morts. Les non-musulmans payaient aussi le kharaj, un impôt sur les terres agricoles. On ignore quel en était le taux, mais il devait être plus élevé que la zakat, car le fait d'être dispensé du kharaj était considéré comme une forte incitation à se convertir.
Enfin, il y avait l'ushr, un droit sur les marchandises importées que devait acquitter tout marchand, sans distinction de sexe ou de religion. Son taux pouvait varier et son assiette (valeur du jour ou selon le produit) a évolué au fil du temps et des besoins de l'État. Il fut à l'origine de nombreux mécontentements, et nombre de marchands étaient emprisonnés pour n'avoir pas acquitté l'ushr.
Si les camélidés sont un cliché qui vient immédiatement à l'esprit lorsque l'on évoque le monde musulman, ces « vaisseaux du désert » sont surtout, depuis des temps immémoriaux, un moyen de transport majeur en Eurasie.
Employés comme montures et bêtes de somme depuis l'Antiquité, les dromadaires (à une bosse) et les chameaux (à deux bosses) étaient présents du Maroc à la Chine. Leurs larges pieds leur permettent de conserver leur équilibre sur n'importe quelle surface et leur ou leurs bosses font office de réserves d'énergie dans les régions où la nourriture est rare. Qui plus est, ils sont capables d'avaler presque tous les végétaux, y compris les épineux, et de les transformer en lait ou en viande pour les caravaniers affamés. Ils présentent aussi une grande résistance aux températures extrêmes, les dromadaires étant plus adaptés aux chaleurs désertiques et les chameaux de Bactriane supportant mieux le froid et l'altitude. Ils peuvent porter des charges bien plus lourdes que les chevaux et les ânes, ce qui en fait des bêtes de somme idéales. Leur « rendement » et leur souplesse d'emploi eurent un effet majeur sur la richesse de l'empire abbasside, promouvant le commerce et facilitant les déplacements sur son vaste territoire. Ils étaient également utiles à la guerre du fait de leur vitesse impressionnante !
Le recours aux camélidés eut d'importantes conséquences sur le paysage et l'urbanisme de l'empire. Les califes n'avaient pas besoin d'entretenir un important réseau de routes pavées, car ces animaux n'en avaient que faire. Comme ils rendaient les attelages à roues inutiles, les villes abbassides présentaient aussi des rues plus étroites. Les hauts immeubles qui les bordaient maintenaient l'essentiel de la ville à l'ombre, ce qui réduisait la température de plusieurs degrés par rapport aux étendues à découvert se trouvant hors des murs.
Le caravansérail était un « palais (saraï en persan) accueillant des groupes de gens (karvan) ». Tenant plus de l'auberge de bord de route que du palais, ils offraient un endroit sûr au confort variable aux marchands, pèlerins et voyageurs désireux de se reposer après une journée de trajet sur les routes de l'empire.
Les caravansérails étaient généralement construits par les califes, leur famille et les membres de l'élite locale afin de montrer leur piété et leur générosité. Le territoire de l'empire en comptait des centaines, en particulier en son centre, sur les territoires de l'Irak et de l'Iran actuels. Ils étaient éloignés d'une trentaine de kilomètres, soit la distance que pouvaient parcourir en une journée un homme et sa bête de somme. Les voyageurs y trouvaient un lieu sûr pour la nuit, l'occasion de commercer et d'échanger des informations et y acquittaient une taxe assurant l'entretien du caravansérail.
Ils étaient tous différents. Si la plupart étaient organisés autour d'une cour ceinte d'une muraille, leur apparence et les services qu'ils proposaient variaient largement. Dans les plaines et déserts, la cour était découverte et les murs en briques crues, alors qu'en montagne, une surface entièrement couverte protégeait de la pluie et de la neige. Les mieux équipés disposaient d'un réservoir d'eau, d'écuries, d'un lieu de prière, de gardes et de chambres pour les clients. La plupart étaient cependant de simples galeries n'offrant aucun de ces luxes ! S'il ne subsiste aucun caravansérail de l'époque, les « palais du désert » des Omeyyades tels que le Qasr el-Heyr ech-Charqi ont peut-être joué de rôle en leur temps.Gouvernement[]

Vous vous estimez victime d'une injustice ? Adressez-vous à votre kadi (juge religieux) ! Sa tâche consistait à assurer la paix entre musulmans en s'appuyant sur la charia (la jurisprudence existante). Cela lui octroyait compétence sur tous les sujets, des dettes aux querelles de succession en passant par le vol et l'adultère.
Tout musulman libre et sain d'esprit pouvait devenir kadi. Il lui suffisait de suivre les cours pour adultes en instruction musulmane proposés dans toute la ville. Il pouvait ensuite exercer le droit dans une mosquée ou chez lui. Là, il entendait les revendications des plaignants et leurs plaidoiries contre les défendeurs. Chacune des parties pouvait faire venir des témoins et présenter des éléments écrits. Se guidant sur les précédents musulmans, le kadi rendait ensuite son jugement, qui n'était pas susceptible d'un recours en appel. Selon la nature de l'infraction, le châtiment pouvait être libre (donc arbitraire) ou préétabli : calomnier un voisin pouvait entraîner 80 coups de fouet, tandis qu'une blessure à la tête supposait un dédommagement s'élevant à cinq dromadaires !
Les kadis étaient également chargés de confirmer que les décisions du califat étaient conformes à la charia. Ils pouvaient par conséquent réfuter un ordre du calife qui se serait avéré contraire au droit religieux. Afin de conserver leur prééminence sur les autorités religieuses, les califes employaient diverses méthodes atténuant l'influence des kadis locaux. L'une d'elles était les mazalim, une juridiction dont les juges étaient nommés par les califes.
Les califes abbassides entretenaient des forces armées professionnelles aux effectifs nombreux. Leur tâche principale était de défendre plutôt que d'étendre les frontières de cet empire déjà très vaste et d'assurer le maintien en place de la dynastie.
À l'avenant de la diversité ethnique de l'empire abbasside, les forces armées du calife comportaient des régiments d'origines très variées. Au VIIIe siècle, les soldats originaires du Khorassan (est de la Perse et Ouzbékistan) qui avaient soutenu l'accession au pouvoir des Abbassides étaient les plus nombreux, mais d'autres unités comprenaient des Arabes installés dans des villes de garnison et des guerriers zanj originaires d'Afrique du sud-ouest. Au IXe siècle, les hommes du Khorassan, considérés comme trop dangereux après leur participation à la guerre civile de 811-813, furent remplacés par des régiments de ghilman (pluriel de ghulam), ou esclaves militaires, turcs, slaves et caucasiens.
Cette armée professionnelle comptait des dizaines de milliers de soldats essentiellement installés dans des casernes situées dans les villes de tout l'empire. Parmi eux, on comptait une petite majorité de fantassins équipés de lances, de haches, d'arcs composites et de casques ronds. Le reste constituait une cavalerie d'élite de cavaliers en cotte de mailles armés de lances, de haches, d'épées courbes et d'arcs. Au combat, ils lançaient des charges dévastatrices de cavalerie caparaçonnée, dépassant le rideau de fantassins qui les protégeait. Mais la plupart des affrontements se limitaient à des attaques et sièges frontaliers de peu d'envergure, lors desquels quelques centaines de soldats abbassides combattaient un nombre équivalent de soldats byzantins, tangs ou nord-africains à l'équipement similaire.
Au fil du temps, ils se montrèrent aussi doués que leurs prédécesseurs du Khorassan pour s'arroger de considérables avantages financiers et politiques. Lorsque le calife al-Mutawakkil tenta de mettre un terme à ces pratiques en 861, il fut exécuté par ses propres gardes, ce qui entraîna une période d'anarchie durant laquelle des factions opposées au sein des forces armées luttèrent pour le pouvoir, plaçant sur le trône et renversant une série de califes. L'empire abbasside ne se remit jamais vraiment de cette époque de chaos.
Sur la rive ouest du Tigre, à quelque 35 kilomètres au sud de Bagdad, se trouve une petite éminence appelée Tell Umar. Aujourd'hui battue par les vents et séparée du cours du fleuve par des marais, cette colline a jadis surplombé l'une des plus grandes villes de l'Antiquité : Séleucie du Tigre.
Séleucie a été fondée à la fin du IVe siècle AEC par Séleucos Ier, l'un des successeurs d'Alexandre le Grand. Son emplacement, au point d'origine de la grande voie menant d'Irak vers l'Iran et sur le confluent du Tigre et d'un canal donnant sur l'Euphrate, lui permit de contrôler la circulation des caravanes et des armées pendant ses cinq siècles d'existence. Ceci en fit un centre marchand et un lieu de résidence royal renommé dans tout le monde antique pour ses philosophes stoïciens et ses athlètes olympiques.
Avec le temps, le pouvoir des Séleucides déclina. En 129 AEC, la Séleucie fut conquise par les Arsacides parthes, une dynastie rivale. La ville continua néanmoins de se développer jusqu'à ce que les assauts répétés des armées romaines et une modification catastrophique du cours du Tigre entraînent la disparition de Séleucie vers l'an 200. Par la suite, d'autres capitales impériales comme Ctésiphon et Bagdad tirèrent avantage de l'emplacement qui avait fait son importance et devinrent elles-mêmes des centres d'envergure mondiale.
En bordure de Bagdad se trouve ce qui ressemble, au premier regard, à une hauteur battue pas les vents. Un examen plus attentif révèle cependant que cette éminence d'une soixantaine de mètres de haut est faite de briques cuites. Selon une inscription présente sur l'une d'elles, elles ont été placées là par le roi Kurigalzu II, au XIVe siècle AEC. Il s'agit du dernier vestige de l'ancienne capitale de l'empire kassite, Dur-Kurigalzu (la forteresse de Kurigalzu).
Les Kassites régnèrent sur la Mésopotamie centrale et méridionale (Irak) du XVIe au XIIe siècle AEC. Si leur origine précise demeure inconnue, ils ont repris de nombreuses pratiques culturelles et politiques de leurs prédécesseurs babyloniens. Parmi elles, la construction de ziggurats, des bâtiments à degrés servant de temples. À Dur-Kurigalzu, cet édifice prit la forme d'un bâtiment de 69 mètres par 67, dont ne subsiste que le cœur. Autour de la ziggurat se trouvait un palais royal et toute une ville, qui furent détruits par les Élamites du sud-est de la Perse vers 1155 AEC. La ziggurat remplit sa fonction de temple pendant des siècles, mais finit par être abandonnée, elle aussi. Malgré les ravages du sable et du temps, elle demeure néanmoins l'un des édifices les plus emblématiques de la région, souvent prise à tort, par les voyageurs médiévaux et de la Renaissance, pour la tour de Babel décrite dans la Bible.
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